Valérie Guillemin

Fleur de vie pour Adama

Rencontre avec Dalila Dalléas Bouzar

Adama 2019, tapisserie en velours brodé 300x400cm ©Dalila Dalléas Bouzar

Broder les mémoires de femmes : Adama est une tapisserie brodée de fil doré sur velours noir de 4 m de large sur 3 m de haut, comportant également des pierres semi-précieuses, des perles et des paillettes. Sont représentés les trois âges de la femme (enfance, âge adulte et vieillesse) sous la forme de 3 personnages grandeur nature.

Dalila Dalléas Bouzar

INNOCENTE     Dec. 12th 2019 – Feb. 29th 2020 – Solo Show – Painting and Performance

« L’artiste continue ici son œuvre de détournement des codes de la peinture occidentale, au fondement de son travail, en bousculant les régimes de représentation du corps de la femme, à travers une série de peintures intitulée Sorcières et la tapisserie brodée Adama, pièce maîtresse de l’exposition réalisée lors d’une résidence en Algérie. Au travers de ces œuvres, Dalila Dalléas Bouzar invoque les mémoires collectives ancestrales afin d’investir nos imaginaires d’images de femmes transfigurées par leur propre force.

La tapisserie Adama, est inspirée d’une technique de broderie au fil d’or à l’origine destinée et réservée aux chefs de guerre et aujourd’hui traditionnellement utilisée en Algérie pour la tenue de la future mariée. Cette œuvre vient broder la mémoire culturelle des rites de passage du corps de la femme, de l’enfance à la vieillesse. Adama charrie avec elle toute une lignée de femmes : celles qui composent la famille algérienne de l’artiste, les brodeuses et les couturières qui l’ont confectionnée et plus largement la femme dans sa pluralité, inévitablement concernée par la question de la symbolique de son corps. Dalila Dalléas Bouzar choisit de subvertir à nouveau la fonction symbolique du karakou pour en faire un outil de pouvoir au service de la libération de la femme. Un déplacement a ainsi lieu, d’une situation de soumission à un retour vers une position de puissance. »

Novembre 2019 : l’ artiste peintre Dalila Dalléas Bouzar, dont je suis avec intérêt les travaux depuis quelques années, fait appel à moi pour créer un médaillon destiné à parer le cœur de l’enfant au centre de la tapisserie Adama. Nous avons beaucoup discuté et de suite enthousiasmée par ses explications sur cette œuvre à naître, de plusieurs mains de femmes et aux divers savoir-faire, Dalila me donne carte blanche. Avec toute cette dimension symbolique, m’est venue comme une évidence cette inspiration pour la création de ce médaillon : une Fleur de Vie.

Je me suis donc penchée sur l’étude de cette composition géométrique, dont la base, le cercle, me semblait tout naturellement lié au féminin : Il y a d’abord un cercle central, symbole universel du point originel, de la cellule, source de toute Vie, puis 6 autres cercles de même diamètre développés autour du 1 er noyau   . La graine de Vie apparaît avec ses 7 cercles identiques, tel un embryon de 3 jours.

La Fleur de Vie souvent représentée, universellement et depuis des temps anciens, en expansion par des cercles au diamètre identique, multipliés et juxtaposés sur leur centre, c’est une autre figure qui m’a appelée, celle aux cercles de diamètre doublé se développant aussi à partir de la Graine de Vie. J’ai donc choisi de travailler sur cette Fleur de Vie dite « évolutive », symbole puissant de croissance, d’évolution de l’Esprit dans la matière de l’Univers concret, de force créatrice, pour intégrer toute sa dimension rayonnante et vibratoire au médaillon.

Après avoir défini la taille finale de celui-ci (9 cm de diamètre) par le calcul des proportions et échelles du dessin de l’enfant que l’artiste m’a donné, et avec l’objectif de ciseler la matière  qui m’a été fournie, ont suivi mes 2 propositions de dessins et gouachés pour le motif central. Le choix de Dalila s’est porté avec enthousiasme sur celui-ci

Gouaché Fleur de Vie éch 1/1, 9 cm de diamètre
Dessin calque préparatoire de l'enfant sur future oeuvre pour definir taille du médaillon

La ciselure consiste à déformer le métal, sans enlever de matière, et en mettant en valeurs les décors par le volume, c’est la raison pour laquelle j’ai choisi cette technique que j’aime beaucoup utiliser, pour ce large médaillon. J’ai d’abord réalisé une 1ère maquette en laiton.

Du premier tracé avec les ciselets, puis tout au long du travail, la plaque est prise dans le ciment de ciseleur et sans cesse retournée, car il s’agit de travailler à la fois sur la face et son revers, en négatif, pour emboutir ses futurs volumes, puis les redessiner, et enfin exécuter les différents décors de la ciselure en mat, qui souligneront les contrastes sur le métal une fois les différentes parties polies.

Entre ces allers-retours, il est nécessaire de recuire le métal (lui redonner ses propriétés de ductilité en le chauffant à rouge) lorsqu’il devient trop écroui (dur et cassant) à force de le déformer avec les planoirs et ciselets. Il faut donc veiller tout au long du travail de ciselure à être le plus efficace possible en limitant le nombre de coups de marteau, le nombre de recuits aussi, pour ne pas « violenter » excessivement la matière, ses molécules.

La dernière étape : Préparation du dos en argent 925, repercé pour laisser voir l’envers de la pièce, avant la soudure, délicate, car les plaques de métal sont grandes mais peu épaisses.

A partir des propositions de croquis, la réalisation de ce médaillon aura nécessité une centaine d’heures de travail, maquette comprise.

C’est avec beaucoup d’enthousiasme et de reconnaissance pour la confiance accordée par Dalila que je me suis impliquée dans ce travail participatif à la réalisation de cette œuvre magnifique et hautement symbolique, et mariage d’ expression artistique et d’artisanat à plusieurs mains de femmes.